Aménagements successifs du noir,
Belgrade 2011-2015
Pendant les années ’90, mon pays l’ex-Yougoslavie s’écroule. Les ex-républiques se déchirent et prennent leur indépendance au prix de guerres et d’une violence terrible. Cette violence se déchaîne et envahi non seulement le quotidien mais aussi les esprits. La violence est manipulée par tous et toutes les raisons sont bonnes : guerre de territoire, conflits religieux et ethniques, montages mafieux, luttes de pouvoir, avidité, jalousies, rancœurs accumulées, …
En Serbie, Slobodan Milosevic a besoin de la violence, du chaos et du conflit pour se maintenir au pouvoir. C’est la loi de plus fort qui règne sans pitié. Les groupes paramilitaires font régner la peur, les armes sont omniprésentes, l’embargo puis les bombardements de l’OTAN font des citoyens des otages Les frontières se ferment, l’inflation dépasse les records de Weimar, la société sombre dans la misère économique et dans la misère culturelle. Les valeurs sur lesquelles nous avions bâti la vie d’avant s’écroulent.
La plupart de mes amis ont réussi à quitter le pays dès début des conflits. J’ai vécu cette période en Serbie du début à la fin. Avec tout l’optimisme nécessaire pour tenir et se tenir debout.
Pour finir, les bains de sang s’espacent, et Milosevic est finalement renversé. Mais évidemment tout ne change pas d’un coup, la société est perdue, la violence s’est imprégnée partout, elle est là. Et cet optimisme qui ne m’a pas quitté commence à se briser quand je me rends compte que le départ de Milosevic ne change pas fondamentalement les choses. Et réaliser ça c’est encore plus violent que tout, le noir déborde de partout. Je dois partir. Je fuis le noir.
En 2011 je retrouve la Serbie et Belgrade. La photographie va me permettre de me confronter à tout ça. J’ai retrouvé les endroits aimés dans cette ville. J’ai posé mes pieds. Je me suis calmée. Sylvain Prudhomme y pose des mots : Aménagements successifs du noir.
Sladjana Stankovic